19 JANVIER 1871: LA BATAILLE DE BUZENVAL ET LA DESTRUCTION DE GARCHES

Thème : HISTOIRE                                                                                                                                                                         Mardi 20 Janvier 2004

19 janvier 1871: La  Bataille  de  BUZENVAL et la Destruction de Garches 

Par Guy GALLON –  Conférencier du CDI 

 En promenade à Vaucresson, on remarque en centre-ville, quelques belles maisons du XVIIIème siècle, pourquoi pas à Garches?  C’est que notre ville a été presque entièrement démolie au cours de la guerre 1870-71. C’est une guerre dont on ne parle plus ! Il paraît régulièrement des livres, des revues sur la guerre de 1914-18 et a fortiori sur 1939-45. Est-ce parce que ce fut une  cuisante défaite ? Pourtant on n’oublie pas de commémorer les guerres d’Indochine et d’Algérie. Est ce que c’est parce qu’elle est trop ancienne ? Les guerres napoléoniennes ne sont pas oubliées. Mais toutes les guerres du Second Empire sont occultées, quelles soient victorieuses (Crimée) ou perdues (Mexique, 70-71). Garches, comme Saint-Cloud, a subi de plein fouet toute cette guerre, mais pas seulement lors de la bataille de Buzenval.

Que représentait Garches ?

Dans le dernier tiers du XIXème siècle, c’était une bourgade de  1500 habitants, qui s’appuyait sur un plateau s’étendant jusqu’à La Celle Saint Cloud et Bougival, et qui comprenait 3 hameaux: à l’est, le Petit Garches, au centre, Garches proprement dit avec l’église, au sud-ouest Villeneuve l’Etang, en face du Château et Parc du même nom. La population était formée d’agriculteurs et de vignerons. Très prospère au début du siècle, la vigne avait vu sa superficie se réduire, les moyens de transport permettant d’approvisionner Paris à partir des provinces viticoles. De 65 hectares  en 1789, elle était ramenée à une dizaine.  Une partie de la commune  était couverte de bois, alors que de grandes propriétés  (en tout une douzaine) avaient vu le jour durant le Second Empire. Garches n’était pas facilement  reliée au communes voisines, ni à Paris: la ligne de chemin de fer qui réunissait Saint Cloud à Paris continuant vers Ville d’Avray et Versailles.

D’ailleurs que représente également au début du XXIème siècle, ce nom de Buzenval ? Quatre rues portent ce nom : à Rueil-Malmaison, à Garches, à Saint Cloud, à Paris où celle-ci a baptisé une station de métro, et paradoxalement c’est sans doute là où sa notoriété se perpétue.

Et pourtant, la bataille de Buzenval, du nom du village situé à l’extrémité du territoire de Rueil, au pied de la colline qui permet de monter à Garches fut le dernier épisode de la guerre franco-allemande de 1870-71.

Comment en était-on arrivé là ?

Un bref historique s’impose ; et ceci pour deux raisons: d’une part, parce que cette guerre se résume dans l’esprit de nos contemporains à la chute de Sedan et à la proclamation de la République –le 4 septembre 1870 -, d’autre part, en raison des jugements très contradictoires portés sur le Second Empire et sur Napoléon III, dont l’action commence pourtant à être reconnue.

En Prusse, régnait depuis 1861, Guillaume Ier; il avait succédé à son frère, Frédéric- Guillaume, dont il avait assuré la régence durant quelques années; en 1862, il avait appelé, comme chancelier, le comte Otto de Bismarck-Schoenhausen, ancien député d’extrême droite, conservateur et nationaliste, et qui venait d’être ambassadeur à Saint Petersburg puis à Paris. Celui-ci n’avait qu’un but: réaliser l’unité allemande sous l’hégémonie de la Prusse. Depuis le Congrès de Vienne, l’ensemble des états de langue allemande, étaient réunis dans la Confédération Germanique avec un parlement à Francfort. S’étant assuré de la neutralité de la France et de l’Italie, la Prusse attaqua l’Autriche, la battit rapidement (Sadowa – juillet 1866); le traité de Vienne qui suivit, fit disparaître la Confédération Germanique, créa la Confédération des Etats du Nord et annexa quelques états ou principautés qui s’étaient alliés à l’Autriche, si bien que la Prusse s’étendait désormais  sans discontinuité de la Russie à la France.

Durant ce XIXème siècle, les grandes puissances voulaient contrôler les pays moins importants, notamment quand il fallait installer un nouveau chef d’Etat : pays venant d’acquérir l’indépendance ou ayant un problème de succession. Ce fût le cas en Belgique, en 1831, en Roumanie, en 1866. Cela fût à nouveau le cas au Mexique (à la suite de l’expédition lancée contre le Président Juarez, qui ne reconnaissait plus ses dettes extérieures (1862); Napoléon III offrit le trône à l’Archiduc Maximilien, frère de l’Empereur d’Autriche François-Joseph; celui-ci obtint un soutien prolongé des Français, mais en 1867, devant la pression des Etats-Unis (la Guerre de Sécession était terminée depuis 1865), Napoléon III retira le Corps Expéditionnaire et Maximilien fût fusillé).

Un nouveau problème vit le jour en Espagne, après l’abdication de la reine Isabelle II; le Roi de Prusse Guillaume Ier suscita la candidature du prince de Hohenzollern-Sigmaringen, ce qui n’était pas du goût de la France. L’ambassadeur de France à Berlin, Benedetti, demanda en insistant, à Guillaume Ier, l’engagement de ne jamais installer sur le trône espagnol, un Hohenzollern: il essuya un refus poli; Bismarck en modifia le compte-rendu en des termes qu’il rendit inacceptable pour la France: c’est la  » Dépêche d’Ems », du 13 juillet 1870, qui se termine ainsi:

« ….Sa Majesté le roi a refusé de recevoir encore une fois l’ambassadeur français et lui fait dire par l’adjudant de service que Sa Majesté n’a plus rien d’autre à communiquer à l’ambassadeur. »

Napoléon III, conforté par le succès du plébiscite du 8 mai 1870 (7,4 millions de oui, contre 1,6 millions de non), fort de ses succès en Italie (rattachement de la Savoie et du Comté de Nice à la France, 1865), mais oubliant la piètre expédition du Mexique, déclara la guerre à la Prusse (19 juillet 1870).

A la décharge de l’Empereur, il faut noter que, déjà malade, il n’a pu résister à la pression de l’Impératrice, alors que Bismarck, depuis sa nomination à la Chancellerie, n’avait qu’un objectif: poursuivre la réalisation de l’unité allemande sous la bannière de la Prusse.  Et l’Alsace et la Lorraine faisaient partie des territoires devant faire partie du futur empire allemand. En outre, il avait mis sur pied une véritable armée de métier, alors qu’en 1865, le Maréchal Niel avait échoué dans son projet de réforme de l’armée, qui prévoyait la conscription (le projet fut refusé par ceux-là mêmes qui accablèrent plus tard Napoléon III et son Gouvernement).

Bismarck était arrivé à ses fins; aussitôt  quatre états allemands du Sud rejoignirent la Prusse: le Bade, la Bavière, la Hesse, le Wurtemberg.  De franco-prussienne, la guerre devenait franco-allemande. Tous les Etats européens restent neutres; certains en profiteront même pour régler certains problèmes (occupation de Rome par l’armée italienne: 20/09/1870).

Napoléon III, bien que malade (il souffrait de calculs et d’une « cystite purulente »  et ses médecins Nélaton, Corvisart, Sée,….se refusaient à l’opérer, d’ailleurs Nélaton avait opéré le  Maréchal Niel, deux ans auparavant, et celui-ci en était mort), prend le commandement des troupes. Resté au château de Saint-Cloud durant la crise qui avait précédé la déclaration de guerre, il prend le train, le 28 juillet, accompagné du prince impérial, à la gare de Chaumes (sur la voie ferrée allant à Ville-d’Avray), près de la Grille d’Orléans, réservée aux hôtes  du château. Il est livide et dit: « A bientôt, j’espère »: il  ne devait jamais revoir ces lieux. Il arriva à Metz et prit le commandement de l’armée.

Les armées et les batailles

L’armée française était bien inférieure à l’armée allemande tant en hommes: (les effectifs des deux armées de Lorraine – Bazaine – et d’Alsace – Mac-Mahon — ne peuvent aligner, au début, que 290000 hommes contre 460000 aux trois armées allemandes) qu’en armement: si le « Chassepot » était bien meilleur que le fusil allemand « Dreyse » (mais on ne pourra pas équiper toute l’armée), Krupp (la Rhur était devenue prussienne  depuis Sadowa) avait doté l’Allemagne d’une supériorité écrasante en artillerie: 1.500 pièces nettement plus performantes – précision et portée – que les 900 pièces de l’armée française. L’armée allemande était dirigée par le Général von Molke, brillant stratège, qui économisait ses troupes. L’armée française en était restée aux charges héroïques de cavalerie (les cuirassés de Reichoffen) ou d’infanterie, baïonnette au canon.

L’armée prussienne était constitué comme un véritable ordre de chevalerie, avec, sous l’impulsion de von Molke, un état-major toujours sélectionné et, depuis la réforme de 1862, une véritable armée nationale où chaque citoyen servait 3 ans dans l’armée active. La réforme de l’armée française avait été entreprise à partir de 1867, par le maréchal Niel mais celui-ci n’avait pu  faire adopter la conscription universelle (elle fut repoussée par ceux-là mêmes  qui accablèrent Napoléon III), le tirage au sort et le remplacement furent maintenus; Niel créa la Garde Nationale mobile avec tous les exemptés, versée en cas de mobilisation dans les troupes actives.

Cependant, bien que la confiance régnait aussi bien dans l’armée que dans la population (mais sans doute pas chez l’Empereur et dans une partie du Commandement),  il faut vite déchanter. Le 6 août, la bataille de Spicheren ouvre les portes de la Lorraine, le 12, Nancy est occupée. La bataille autour de Metz commence: bataille de Saint-Privat, le 18, et, le 20, le siège est mis devant Metz.

Napoléon avait quitté la ville quelques jours auparavant et, le 18, avait nommé le Général Trochu, Gouverneur général de Paris dont, dès le 7 août, on avait donné l’ordre de renforcer les défenses. Elles étaient constituées d’une part par l’enceinte de Thiers, d’autre part des 15 forts situés en avant et par des ouvrages plus modestes, les redoutes: l’une d’elle se situait à Saint- Cloud dans le quartier de Montretout (au nord de l’actuelle avenue Foch), une autre restait  inachevée à Ville-d’Avray.

La 3ème armée allemande se dirige vers Paris, puis vers le nord: c’est la bataille de Sedan qui capitule le 2 septembre: l’Empereur est fait prisonnier, et le 4, la République est proclamée à Paris et le Général Tochu prend la présidence d’un gouvernement de la Défense Nationale. Les troupes allemandes arrivent. Le 17, elles occupent la Malmaison, on abandonne la redoute de Montretout et le plateau de Buzenval; le 19, Sèvres est à son tour occupé; le siège, le long siège, de Paris commence. Les premières lignes allemandes sont à une vingtaine de kms. de Paris, au delà de la portée des canons des forts, les forces allemandes ne comprennent au début que 125.000 hommes et ne peuvent que tenir cette ligne de près de 100 kms. Les troupes françaises, bien plus nombreuses, suivent la ligne des forts et attendent l’attaque des allemands.

Fin septembre, tous les ponts sont coupés, sauf ceux de Neuilly et d’Asnières. Le 21 septembre, un régiment de Silésie occupe le Château de Saint-Cloud, puis les bois jusqu’à Versailles; subissant les tirs provenant du fort du Mont Valérien où des batteries de marine ont été installées, les allemands abandonnent la redoute de Montretout. Le 7 octobre un obus aurait manqué de peu Guillaume Ier, le prince héritier et Bismarck qui circulaient à Louveciennes. Le 13, un obus atteint le château de Saint-Cloud qui commence à brûler (la veille les allemands avaient abattus la lanterne de Démosthène).

Le 9 septembre, le Gouvernement de Défense Nationale avait créé une Commission d’armement chargée d’acheter des armes à l’étranger et de modifier rapidement les armes anciennes.

Le 28 octobre, Bazaine capitule à Metz, ce qui libère des troupes allemandes qui viennent renforcer les assiégeants de Paris; mais les Prussiens ne mènent pas d’attaque pensant que l’hiver et la faim auront raison des Parisiens.

On  pense que cette guerre, dans son aspect militaire, se termine avec les chutes de Sedan et de Metz. Il n’en est rien, les combats continuent au nord de la Loire: c’est une guerre de mouvement, sans doute la dernière de ce type. Durant tout l’automne, les combats continuent en province et autour de Paris.

En province, Gambetta, qui, le 7 octobre s’était échappé en ballon, de Paris assiégé, met rapidement sur pied des armées pour délivrer Paris.

La 1ère Armée de la Loire reprend Orléans après la bataille de Coulmiers (9 novembre);  Orléans est réoccupé après la bataille de Loigny et de Patay (4 décembre).

La IIème Armée de la Loire est battue au Mans (10-12 janvier), l’Armée du Nord gagne à Bapaume (9 janvier), mais est battue à Saint-Quentin; l’Armée de l’Est échoue pour délivrer Belfort et se réfugie en Suisse.

Paris est affamé; le gouvernement a refusé le rationnement, mais dès début décembre toute la viande fraîche est consommée: on met sur le marché de la viande de cheval alors peu appréciée, des boucheries canines et félines s’ouvrent, les premiers rats apparaissent sur le marché. En décembre, chaque parisien ne dispose que de 20 à 30 grammes de viande par jour et 300 grammes de pain (fabriqué avec du riz, de l’avoine, de la fécule, du son, de la paille, et de 25% de farine de blé). Plus de lait: pour les enfants: du bouillon ou de l’eau « panée ». En revanche, le vin et l’alcool ne manquent pas. Devant cette situation, le commandement tente de dégager la Capitale. Le Général Trochu dispose de 500000 hommes, mais les deux tiers font partie de la Garde Nationale: sans entraînement, peu disciplinés, beaucoup ne se déplacent qu’avec femmes et enfants. Les chefs militaires ne se font que peu d’illusion sur l’issue de la guerre, mais la foule croit encore à la victoire, certains se croient en 1792.

On attend les secours des armées qui combattent en province, mais on a vu que malgré le courage de ces troupes, l’héroïsme de certains soldats, celles-ci ne réussirent pas dans leurs entreprises. Les tentatives de sortie sont des échecs; les plus marquantes sont:

–  le 30 septembre: Châtillon, Chevilly;

–  le 21 octobre: la Malmaison, la Jonchère. Au début de l’après-midi deux colonnes partent de Rueil. Celle de droite – Général Berthaut – devait s’emparer de la Malmaison, puis de la colline de la Jonchère; celle de gauche – Général Noël – allait attaquer la Malmaison par le sud et, aidé par une colonne de soutien s’emparer du parc et du château de Buzenval. L’héroïque Commandant Jacquot parvint aux premières pentes de la Jonchère, mais la réaction allemande fut vive et il se trouva bientôt isolé. A gauche, les troupes  prirent le château de Buzenval et tenaient le terrain de la porte de Longboyau à l’étang de Saint Cucufa, mais subirent de violents tirs provenant de la Bergerie. Le long du mur et de la porte de Longboyau, les combats devinrent violents, presque en corps à corps. A 5 heures devant les progrès allemands et l’approche de la nuit, le Général Ducrot  donna l’ordre du repli.

– du 27 au 30 octobre: Le Bourget (la position est conquise, puis abandonnée),

–  le 30 novembre: attaque sur la Marne (Villiers) qui est traversée de Noisy-le-Grand à la boucle de Saint-Maur et à Créteil. C’est la bataille de Champigny, qui a été très mal engagée: absence de secret, manque de préparation, mauvaise connaissance du terrain. Le 2 décembre la température tombe à –12°; le 3, les troupes très éprouvées repassent la Marne.

L’incapacité du commandement est patente. Les chances de rompre le siège s’amenuisent car l’Armée de la Loire est coupée en trois. Cependant les Parisiens affamés, mais sans beaucoup de nouvelles, ne perdent pas tout à fait espoir, au contraire!

Que deviennent  Garches et ses habitants (environ 1500), durant cet automne 1870 ?

Comme dans les communes voisines, une partie des habitants, environ un millier, était partie se réfugier à Paris; les troupes allemandes allaient rapidement  investir Paris, et Garches allait se trouver en posture délicate. Cela n’était pas sans poser des problèmes à la municipalité parisienne, au moment où un siège allait commencer et qui pouvait durer longtemps: non seulement il fallait nourrir et bientôt chauffer, mais aussi loger tous ces gens qui n’avaient pas toujours dans la capitale, des parents ou des amis pour les accueillir. Le Gouvernement de Défense Nationale eut une heureuse initiative, début octobre, celle de reconstituer tout ou partie des municipalités réfugiées, de façon à avoir en face d’elle des personnes compétentes et connues de leurs administrés, lui facilitant son œuvre d’assistance. Ainsi, pour Garches ce fut M. Legrand, premier adjoint. Dès fin octobre, cette assistance fut mise en place: bons de pain et bons pour la cantine municipale, admission des enfants dans les écoles communales, logements, fourniture de combustible,  etc. …

C’est le 19 septembre au matin, qu’un détachement de l’armée allemande passe devant l’Hospice Brézin, précédé de 6 hussards de la Mort, qui demandèrent au marchand de vin Lousteau installé juste en face de l’Hospice, l’adresse du Maire, Mr. Bourgeois.

L’Hospice Brézin abritait alors, en plus des vieux ouvriers au nombre de 260, 100 vieillards transférés de Bicêtre et 100 incurables d’Ivry; ce qui, avec le personnel et quelques réfugiés, représentait près de 600 personnes. Le Directeur, M. Bourdereau, avait mis le drapeau de la Convention de Genève (Croix-Rouge) et une pancarte « Hospital und Ambulance ».

Arrivés devant la porte du Maire, en bas de la Grande Rue, les allemands essuyèrent quelques coups de feu, tirés par des mobiles, depuis le chemin des Vignes et la côte de l’Aimant.  Aussitôt, ils rebroussèrent chemin et retournèrent à Versailles.

Une demi-heure après le gros de la troupe arriva (environ un millier d’hommes) qui occupèrent le champ de courses de la Marche et leur colonel força le Directeur à ouvrir la porte de l’Hospice. Il lui demanda des vivres, en exigeant qu’une vingtaine d’officiers  prennent leurs repas à l’Hospice, ils allèrent habiter chez Lousteau.

L’ennemi continua jusqu’à Saint Cloud, occupa la redoute, inachevée, de Montretout, et s’installèrent dans le parc près de la Porte Jaune. Garches, considéré comme avant-poste fut mis en état de défense: barricades dans les rues, tranchées dans le cimetière, mis en place de fascines et d’abattis, abattage d’arbres pour barrer les chemins. Bientôt, les murs de l’Hospice furent crénelés avec ouverture de meurtrières. Tout cela soigneusement installés de façon à favoriser le tir vers Rueil et le Mont Valérien et à ralentir, voire empêcher le passage de la cavalerie, puis de l’infanterie et surtout de l’artillerie.

Naturellement la population garchoise devaient se plier aux consignes de l’occupant (dans chaque département occupé un Préfet allemand avait été nommé): pas de lumière le soir, et  interdiction de sortir du village en direction des troupes françaises. Ainsi M. Daladin qui voulait aller vers Montretout, fut tué d’un coup de fusil, et une jeune fille, qui voulait arracher des pommes de terre près de la redoute, subit le même sort.

Pillant les maisons abandonnées, les allemands utilisèrent les portes et boiseries pour construire des baraquements à la Marche; mais, ils eussent été beaucoup mieux installés s’ils avaient pu disposer de l’Hospice Brézin. A la mi-octobre, ordre  fut donner d’enlever le drapeau international, car Bismarck refusait qu’il soit arboré sans l’autorisation de son gouvernement (naturellement  celle-ci ne fut pas donnée, car il n’y séjournait pas de blessés), et  d’évacuer entièrement l’hospice dans les 2 heures, sous peine, pour ceux qui seraient encore là, d’être arrêtés et fusillés. Le Directeur obtint un délai supplémentaire et se rendit à Versailles pour discuter avec le commandement. Il faillit se faire arrêter, mais arguant de ce que l’hospice pouvait rendre des services à l’Armée allemande, il obtint gain de cause.

Dans tout le territoire occupé, des préfets prussiens étaient nommés; ce fut M. von Brauchitsch à Versailles.

Saint Cloud, trop rapproché de Paris avait été évacué, ce fut bientôt le tour de Garches: toujours 2 heures de délai ou fusillés! Quelques–uns purent  entasser un peu de linge, des matelas et quelques ustensiles dans une charrette; femmes, enfants, vieillards et même une jeune femme qui venait d’accoucher, durent prendre la route de Versailles à pied poussant une brouette contenant quelques objets ou vêtements! Arrivés  là-bas le major Voigt Retz trouva que cela faisait trop de monde et voulu diriger les réfugiés sur Saint Cyr; heureusement le maire de Versailles, M. Rameau,  obtint que les Garchois restent. Ceux qui n’avaient pas d’amis ou qui ne trouvèrent pas d’âmes charitables  pour les accueillir se retrouvèrent au Grand Séminaire dont les élèves étaient partis (ainsi que les lits!) où ils couchèrent sur des bottes de paille. Certains obtinrent des laissez-passer pour revenir chercher quelques affaires.

Alors Garches fut livré au pillage. Toutes les maisons furent vidées et le butin fut entassé et partagé à la Marche. Les officiers choisissaient d’abord pour envoyer à leur famille; la troupe se partageaient ou revendaient le reste. Pendant la durée de la guerre, il s’est fait  à Versailles un commerce considérable…des brocanteurs, venus de divers côtés et surtout de l’Allemagne, se livrent à des opérations en tous genres. Ils achetèrent les objets et les meubles à bas prix, s’occupant de les faire parvenir en Allemagne avec ceux choisis par les officiers et soldats.

Fin décembre, comme il ne restait plus rien dans les maisons, les Prussiens les incendièrent avec du pétrole et de la paille. Le feu dura 8 jours.

Noël fut célébré avec beaucoup d’allégresse par les occupants; il y avait en outre un brouillard assez épais et il est dommage que les Français n’aient pas, ce jour-là, lancé une attaque, car ils eurent rencontrés fort peu de résistance.

Le 5 janvier 1871, les allemands commencent à bombarder Paris. Le 6 une affiche rouge, dans le 20ème arrondissement réclame « le rationnement gratuit, l’attaque en masse ». Le 7, les généraux se réunissent et estiment que le plateau de Garches serait l’objectif le plus favorable: il permettrait d’atteindre Versailles où se tient l’état-major allemand. Le 9, les Prussiens attaquent la maison Crochard, un de nos avant-postes, près de Buzenval.

Cependant les jours passent, les Généraux semblent avoir oublié leur décision. Mis en demeure le 15, et pour satisfaire l’opinion, Trochu et le gouvernement décident, le 16 janvier, une nouvelle tentative sur Montretout, Buzenval et Garches: ce sera une « trouée de masse » qui devrait permettre de surprendre le quartier général de Versailles et le couper de ses troupes. On prévoit qu’elle aurait lieu le vendredi 20 janvier, mais Trochu qui n’aimait pas le vendredi, porte son choix sur le 19. La veille, 18 janvier, l’Empire allemand avait été proclamé dans la Galerie des Glaces du château de Versailles.

Mais qui était Trochu et comment se présente la situation?

 Louis-Jules Trochu était né à Palais en Belle-île-en-Mer, le 12 mars 1815, il avait donc près de 56 ans en janvier 1871. Il avait suivi un cursus classique pour un militaire: il avait participé aux campagnes d’Algérie, de Crimée et d’Italie, et Général de Division, il avait été affecté en 1866 au Ministère de la Guerre; mais il publia, une étude: L’Armée Française en 1867, où il dénonçait son état d’impréparation, ce qui lui valut d’être écarté de son poste. Assez populaire, c’est sous la pression de l’opinion publique qu’il fut nommé gouverneur de Paris dès les premières défaites de la guerre, le 17 août, puis devint président du gouvernement de Défense Nationale, décidé à défendre Paris. Comme le dira Victor Hugo: « Trochu était le participe passé du verbe trop choir ».

Tout avait échoué: les précédentes tentatives de dégager Paris, les attaques des armées du Nord, de la Loire et de l’Est, et également les négociations de paix (Bismarck refusait une paix sans annexion). Jules Favre, en charge des Affaires Etrangères, poussa donc Trochu à cette ultime tentative. Il disposait de l’Armée de Paris forte de 90000 à 100000 hommes dont 40% de Gardes Nationaux.

En  outre, le Gouvernement de la Défense Nationale avait recréé la Garde Nationale sédentaire, véritable milice de citoyens, que, après 1848, le Second Empire avait mis en sommeil. Il y avait donc les régiments de ligne avec l’artillerie et le génie, formés par les conscrits, la Garde Nationale mobile mobilisée, les « moblots », et la Garde Nationale mobile sédentaire

Comment se présente la situation à la veille de cette opération qui a l’ambition de dégager Paris ?

Coté Allemand: les troupes allemandes se sont installées sur les hauteurs de Saint-Cloud; la redoute de Montretout étant restée inachevée, ils l’ont reliée par une tranchée au château Pozzo di Borgo. Le parc de Saint-Cloud est fortifié, dans les bois des abattis barrent les fourrés, ne laissant libres que les chemins. La ligne de crête depuis le château de Craon jusqu’à la maison du Curé l’est aussi (ces fortifications continuaient jusqu’à la Malmaison et Bougival).  Les murs du parc de Craon, ceux de l’Hospice Brézin avaient été crénelés.

Si la ligne d’avant-poste était assez légère, en revanche, la seconde ligne de Beauregard à Villeneuve l’Etang et à la lanterne de Démosthène était solide.

Coté Français: les troupes qui allaient être engagées étaient importantes: une quinzaine de régiments de lignes, des Mobiles et des Gardes Nationaux soit environ 90000 hommes (ils étaient 73000 à Austerlitz, 65 à Eylau et 80 à Friedland). Armée disparate où à coté des régiments réguliers, les Gardes Nationaux n’avaient pas été préparés au combat et ne disposaient que d’armes anciennes et souvent disparates: les régiments de ligne et un certain nombre d’autres sont équipés du chassepot, les autres ne disposent que de fusils anciens modifiés (modèle 1867), voire de fusils à chargement par la bouche, ce qui n’est pas sans créer un mauvais état d’esprit.

L’attaque serait menée par trois colonnes

A gauche, le Général Vinoy, avec les divisions de Beaufort et Courty, attaquera Montretout, avec 22000 h. dont quatre régiments  de ligne, le reste étant constitué de mobiles et de 8000 gardes nationaux; il doit partir du carrefour de la Croix du Roi. L’artillerie est constituée de 10 batteries, dont 2 de mitrailleuses;

Au Centre, le Général Carrey de Bellemare, avec les divisions Valentin, Fournès et Colomieu, doit prendre Buzenval, avec 34500 h. dont 16000 gardes nationaux (3 régiments de ligne et un régiment de zouaves), qui seront massés entre le Mont Valérien et la ferme de la Fouilleuse; son artillerie dispose de 10 batteries, dont 2 de mitrailleuses;

A Droite, le Général Ducrot, avec les divisions Faron, de Susbielle et Berthaut, disposera 33500 hommes dont environ 18000 gardes nationaux et plusieurs unités de francs-tireurs, et mènera son offensive à partir de la Jonchère, entre le château de Buzenval et la porte de Lonboyau pour tourner l’ennemi situé au haras Lupin, et son aile gauche appuyera la colonne du centre avec une artillerie composée de 10 batteries, dont 3 de mitrailleuses. Ses troupes se regrouperont entre le Moulin des Gibets et la Maison Crochard;

Dès le 17 et surtout le 18 janvier, les régiments quittent leur cantonnement et se dirigent vers le pont de Neuilly (en mauvais état), et vers celui d’Asnières (pont du chemin de fer).

C’était la sortie torrentielle qu’on exigeait depuis le premier jour, « Paris rompant ses digues, noyant les Prussiens sous le flot colossal de son peuple ». Il fallut bien céder à ce vœu de bravoure, malgré la certitude d’une nouvelle défaite. Et la veille du 19 janvier, ce fut comme une fête: « une foule énorme, sur les Champs-Élysées, regarda défiler les régiments, qui, musique en tête, chantaient des chants patriotiques ».                   (Émile Zola: la Débâcle)

Le 19, c’est le dégel, il a plu durant la nuit, le sol est détrempé, et au petit matin, c’est le brouillard, surtout près de la Seine. Plus tard dans la journée, il tomba une pluie fine.

La débâcle.

La progression des troupes est difficile, elles prennent du retard. A 5 h. du matin, elles ne sont qu’au Rond Point des Bergères; l’attaque devait démarrer à 6 h. par 3 coups de canon tirés du Mont Valérien, mais le Général Trochu n’est pas là, il est bloqué au pont de Neuilly.

En fait, cette attaque démarrait dans l’impréparation: Trochu avait bouleversé les unités existantes, et le court délai entre la décision de l’offensive et sa réalisation, n’avait pas permis de donner des indications sur l’ordre du mouvement général: chaque colonne avançait indépendamment des autres, d’où temps d’arrêt, enchevêtrement et même bousculades entre les groupes 2 et 3, notamment sur la route de Saint Germain, entre le rond-point de Courbevoie et celui des Bergères.

A 7 h., le colonel de Lochner qui commandait le Fort, en remplacement du Général Noel, parti à la tête d’une brigade, fait tirer les trois coups de canon; c’est alors que Trochu arrive (pourquoi n’a-t-il pas couché au Mont Valérien?) et veut tout arrêter; certains régiments ne sont qu’à la place de l’Etoile, d’autres à  Neuilly, ou même à Clichy, et Ducrot est sans troupes, mais Vinoy (colonne de gauche) est déjà en action.

A 7 h. 15, la division de Beaufort, faisant partie de l’aile gauche, marche en trois colonnes sur la redoute de Montretout: celle de gauche suit la voie ferrée de Versailles et cherche à occuper la propriété Pozzo-di-Borgo; celle du centre se dirige vers la redoute; celle de droite s’avance vers la tuilerie située à l’angle de la route de l’Empereur et celle du Suresnes à Garches (angle de l’hippodrome).

A 7 h.30, le général de Bellemare lance ses troupes vers la maison du Curé et la cote 155, mais les autres brigades sont en retard. Il en est de même pour l’aile droite (Ducrot). Toutes empruntaient la même route qui part du Rond-point des Bergères et passe au pied du Mont Valérien.

Quelle était la situation à 9 h?

A gauche (Vinoy), la redoute de Montretout est prise depuis ¼ d’heure, mais des pièces d’artillerie du Mont Valérien, pas prévenues tirent, tirent sur nos soldats, les parcs de Béarn et de Pozzo-di-Borgo sont entre nos mains, ainsi que la maison Armengaud; la route de Saint Cloud à Garches est franchie avec l’occupation de la maison Zimmermann (Gounod) et de la maison Dantan; les Français se sont avancés jusqu’à l’église. Mais l’artillerie est encore à Courbevoie et une division entre Suresnes et Puteaux.

Au Centre, seule la brigade Colomieu a quitté la Fouilleuse, le reste suit péniblement: certains éléments sont encore à Neuilly!

Le 1er bataillon de zouaves bouscule, dès 8 h.30, les avant-postes prussiens entre la maison du Curé (vers le monument commémoratif, rue du 19 janvier) et la Tuilerie (à l’angle de cette rue et de la rue de la Porte Jaune): elle redescend vers Garches dépassant le cimetière et occupant le nord-est du village, mais subissent le feu des batteries prussiennes situées à la limite du parc de Saint Cloud.  Le 2ème bataillon et un régiment de gardes nationaux emportent la Maison du Curé et la cote 155 (carrefour rue des Suisses et rue du 19 janvier). L’aile droite progresse sur la gauche du parc de Buzenval. Grâce aux soldats du génie, elle atteint le parc du château de Craon et la Bergerie (ferme du château de Buzenval, face à l’avenue Edouard Detaille), où un bataillon de chasseurs prussiens la tient en respect.

A Droite, le général Ducrot n’est toujours pas là: ses colonnes arrivent comme en procession, elles atteignent seulement Rueil.  Pour le suppléer, une brigade (Valentin) est envoyée sur le château de Buzenval, elle franchit la grille du parc et prend le château, aussitôt mis en défense.

Les positions sont, dans l’ensemble satisfaisantes, mais les allemands qui avaient cru à une escarmouche et ont été surpris,  commencent à réagir; dès 9h. Les renforts prussiens viennent prendre position dans des épaulements préparés à l’avance à la Porte Jaune, à l’Hospice Brézin et au Haras Lupin d’où, avec 60 canons, ils balayent une grande partie de Garches et la route nationale. Le général de Bellemare ayant constaté la situation précaire de nos zouaves qui risquaient d’être cernés, laisse trois compagnies prussiennes reprendre la partie nord-est du village. Celles-ci essaient de reprendre la Maison du Curé, mais sans succès.

Pendant ce temps, les hommes du Colonel de Colomieu essaient d’enlever la Bergerie et la maison Craon, mais d’une part, ils se trouvent sous le feu nourri de l’ennemi, et d’autre part, doivent franchir des fossés et de nombreux abattis et, après avoir traversé le mur sud du parc de Buzenval, ouvrir des brèches dans les murs de clôture de la maison Craon et de la ferme de la Bergerie. Leurs courageux essais (la dynamite gelée, coups de pioches sont donnés sous le feu des défenseurs) restent infructueux et les deux adversaires restent face-à-face, se fusillant quasiment à bout portant.

Tout à coup, vers 10 heures des coups de canon retentissent sur la droite, ce sont les premiers éléments de la colonne Ducrot qui se sont mis en place: deux batteries sont installées à la Maison Brûlée, et tirent sur la porte de Longboyau; bientôt apparaissent les premières troupes d’infanterie de la division Berthaut qui, au fur et à mesure, franchissent par les brèches déjà pratiquées, le mur du parc de Buzenval et attaque le mur de Longboyau. Ce mur est crénelé et le premier assaut subit un feu violent, il est repoussé, de même que celui tenté contre le pavillon de la Jonchère. De nouveau bataillons arrivent, les brigades Valentin et Bocher tentent un nouvel effort elles sont décimées; là meurt l’ingénieur Gustave Lambert. Le général Ducrot regroupe et organise ses troupes, occupe Rueil et Bois-Préau, tire sur Chatou, la Jonchère et la porte de Longboyau. Mais les allemands ont renforcé leur défense et malgré le formidable assaut de nos troupes, les efforts des sapeurs pour dynamiter le mur, les attaques de la brigade de Miribel contre le pavillon du garde et celle, pour la troisième fois, de la brigade Bocher se soldent par un nouvel échec; des francs-tireurs et des mobiles sont arrivés à quelques mètres des créneaux: ils sont anéantis. Les troupes s’affolent, tirent au hasard, se débandent… On relève les corps des colonels de Montbrison et de Rochebrune (peut-être tué par une balle perdue d’un garde national). Les gardes nationaux s’en vont et il faut toute l’énergie des généraux pour éviter que cette débandade gagne les troupes de ligne et les mobiles.

Le général de Susbielle s’est, pendant ce temps, engagé dans le ravin de Saint-Cucufa, mais une large rangée d’abattis, avec de gros arbres, s’étend depuis l’étang jusqu’au parc de la Malmaison: elle est infranchissable et l’ennemi prend nos troupes en enfilade depuis les murs crénelés de Longboyau.

Il est 2 h. 30; quelle est la situation?

A droite, toutes nos colonnes sont bloquées, de la Malmaison à Buzenval. Dans ce parc où 10 régiments s’entassent pêle-mêle, le désordre devient dangereux. Les attaques contre le mur de Longboyau restent infructueuses.

A Gauche, nos positions sont tenues, mais sont quasi-inchangées depuis les premières heures du jour. Vinoy essaie d’armer la redoute de Montretout en installant 4 pièces, mais, malgré des efforts inouïs, avec de la boue jusqu’à mi-jambe et sous le feu de l’ennemi qui tire du parc de Saint-Cloud, il n’y parvient pas.

Au Centre, la situation est plus complexe: le général de Bellemare essaie de faire donner son artillerie qui a dû s’arrêter à la ferme de la Fouilleuse, car les chevaux épuisés  ne peuvent plus faire avancer des pièces trop lourdes dans un sol détrempé, elles tirent au juger par dessus les futaies de Buzenval, sans aucun effet.

L’efficacité de notre artillerie, d’ailleurs insuffisante, est nulle: le général Vinoy réussit à installer 2 pièces sur la crête de Garches pour tirer sur la maison Craon, mais un épais rideau d’arbres rend ces tirs inutiles. De même les grosses pièces du Mont Valérien demeurent presque silencieuses, car le général Trochu a scrupule à tirer pardessus nos troupes et craint d’atteindre l’Hospice Brézin sur lequel flotte le drapeau de la Croix de la Convention de Genève  (Croix Rouge) dans l’axe duquel les prussiens n’ont pas hésité à installer deux batteries de 20 pièces!

Il est 3 h. Nos troupes sont épuisées après leur longue marche de la nuit par ces combats commencés avant l’aube. Les allemands, en revanche, sont assurés des renforts de soutien et le Vème  Corps prussien attaque depuis la Malmaison jusqu’à Saint-Cloud, appuyé par une artillerie puissante. En plus des batteries de l’Hospice Brézin, d’autres sont installées sur la colline de la Brosse, ainsi que « 8 canons gigantesques » au pavillon de Breteuil. Un peu plus à l’arrière, d’autres batteries tirent de Villeneuve l’Etang, de la Marche, de La Celle Saint-Cloud. Le parc de la Malmaison est repris et les Gardes Nationaux s’enfuient. En revanche, les prussiens ont beaucoup moins de succès tant sur les hauteurs de Garches, trois fois abandonnées, trois fois reprises, que sur le mur sud du parc de Buzenval, où ils essuient de violentes fusillades. Il en est de même à Saint Cloud et à Montretout. En fait, sauf à la Malmaison, nos soldats n’ont pas perdus un pouce de terrain, mais ils sont épuisés.

A 5 h, la nuit commence à tomber, les prussiens renouvellent leur offensive sur les hauteurs de Garches, bousculant les tirailleurs de la brigade Fournès, les Gardes Nationaux, envoyés en renfort ont peur des balles, une autre brigade envoyé par le général de Bellemare rétablit à peu près la situation. Un nouvelle offensive contre Buzenval est également contenue, mais au prix de pertes sensibles.

Les troupes sont harassées, mais maintiennent leur positions; cependant, il règne une certaine confusion: les Gardes Nationaux, pas entraînés sont complètement démoralisés: certains s’enfuient, d’autres tirent dans tous les sens. Divisions, brigades et même colonnes sont mélangées. Si bien que, vers 5 h.30 / 6 h, le Général Trochu donne l’ordre de la retraite. Il pense qu’il est dangereux de laisser nos troupes dans leurs positions qu’un faible intervalle sépare de l’ennemi. Aussitôt les Gardes Nationaux et certaines brigades  abandonnent le champ de bataille; mais il n’y a qu’une seule route, celle passant au pied du Mont Valérien et rejoignant le rond-point des Bergères. Malgré les ordres, une grande confusion s’installe rapidement: voitures, ambulances, pièces d’artillerie, souvent embourbées… se mêlent  aux troupes. Toutefois, le Commandant de Lareinty tient encore la maison Zimmermann et à l’aile droite la brigade Baerthaut maintient sa position dans le parc de Buzenval.

Heureusement les allemands ne poursuivent pas nos troupes, ils auraient pu anéantir rapidement ce qui restait de l’Armée de Paris. Ils attaquent seulement à Saint Cloud pour prendre le contrôle de la redoute de Montretout; et là où les troupes résistent, ils les encerclent. Le commandant de Lareinty est cerné dans la maison Zimmerman et n’est pas prévenu de la retraite, il continue de se battre furieusement et, ses munitions épuisées, se rend le lendemain à la tête de 325 mobiles: les allemands lui rendent les honneurs. A Buzenval, c’est enfin la retraite, mais avant de partir le jeune peintre Henri Regnault, garde national, veut décharger ses dernières munitions: il repasse le mur… Aussitôt, il est tué (son corps ne sera retrouvé que le surlendemain); un autre garde national, le marquis de Coriolis, engagé malgré ses 70 ans, a connut le même sort.

Le matin du 20 janvier… La Fouilleuse.

Une ferme horizonnée de petits bois. Arrivé juste à temps pour voir nos dernières lignes battre en retraite. C’est le troisième mobile de Paris. Il défile,  en bon ordre, commandant en tête. « Après  l’incompréhensible débandade à laquelle j’assiste depuis hier soir, cela me remonte un peu le cœur…Je reste seul un moment à regarder ce grand paysage mélancolique, qui a quelque chose des plaines du Chélif ou de la Mitidja. Des files de brancardiers en blouses grises montent d’un chemin creux, avec leur drapeau blanc à croix rouge. » (Alphonse Daudet, Contes du Lundi)

Le 21 janvier, les batteries allemandes tirent sur Saint Denis des hauteurs situées au nord de Paris.

Le 22 janvier, le général Vinoy est nommé commandant en chef à la place de Trochu qui a démissionné, et dans la journée, les allemands mettent le feu à ce qui est encore debout. Le 26 janvier, Jules Favre demande l’armistice, qui est signé le 28.

Fin de la bataille.

Ainsi cette bataille de Buzenval marquait la fin d’une guerre franco-allemande aujourd’hui bien oubliée!  Elle n’avait d’ailleurs concernée que la moitié nord de la France, la Bretagne exceptée; le reste du pays, à part les familles qui avaient des soldats, s’était senti peu concerné. Cependant, cette guerre perdue, ces batailles jamais gagnées, sauf à Coulmiers et à Bapaume, ces villes et villages dévastés ou incendiés (Châteaudun, Saint-Denis, Saint-Cloud, Garches….) laissèrent des marques profondes dans le subconscient des deux peuples.

Sur le plan événementiel, le peuple de Paris avait, dans la matinée du 19 janvier été informé par des dépêches résolument optimistes. Comme il ne se rendait pas bien compte de la situation, alors que les Armées de la Loire, du Nord et de l’Est n’avaient pas été capables d’effectuer une percée, sa déception fut immense, en apprenant le repli de nos troupes. Après avoir, début septembre, rejeté sur l’Empire et Napoléon III le désastre de Sedan, il s’apercevait que ses nouveaux dirigeants ne faisaient pas mieux, il rejeta alors sur leur incapacité et celle des généraux, les causes de la défaite.

Le premier convoi de vivres entra dans Paris début février. Après les élections du 8 février (car les allemands ne voulaient négocier et signer un traité qu’avec des élus), l’ennemi occupa les forts autour de Paris. Mais la foule grondait et le 18 mars, elle exécute les généraux Lecomte et Thomas, ce fut l’insurrection, la Commune.

De leur coté les militaires engagés dans la bataille, n’ont pas été tendres  pour les Gardes Nationaux (Mémoires des généraux Ducrot et Vinoy) et les francs-tireurs, alors que certaines sources les décrivent comme des héros, ce qu’ils n’avaient pas manqué de faire valoir en rentrant à Paris. Mais la responsabilité des généraux est grande: mauvaise organisation (longue marche d’approche des troupes, mauvaise connaissance du terrain), Trochu et Ducrot couchent à Paris alors que l’attaque était prévue à 6 h. Vinoy reste sur le centre de Saint-Cloud et laisse un trop grand intervalle entre lui et de Bellemare…Mais cela ne les pas empêcher de terminer confortablement leur carrière. Trochu et Ducrot vont même siéger à l’Assemblée Nationale et au Sénat.

En outre, le gouvernement, à part Gambetta, est faible. Il croit que, comme en 1793, la levée en masse va résoudre les problèmes. Il a devant lui une armée très organisée et semble ignorer que depuis la Révolution, l’exercice de la guerre  a changé: perfectionnement de l’armement et importance de la logistique. Enfin la presse ayant recouvré sa liberté, les colonnes des journaux mélangent le vrai et le faux et reproduisent toutes les rumeurs.

Les pertes de la bataille de Buzenval furent importantes du coté Français: 4070 hommes,  tués, blessés ou disparus, dont un peu plus d’un tiers de gardes nationaux, dont plus de la moitié pour la colonne de Bellemare, contre 715 allemands. Outre les morts déjà cités, on trouve Gustave Lambert qui préparait une expédition vers le pôle nord, des artistes, de jeunes étrangers, le fils d’Abd-el-Kader…

Garches  et Saint Cloud ne sont plus qu’un champ de ruines.

A Garches, toute la partie de la commune au nord  d’une ligne allant de la Bergerie au cimetière, puis à Montretout, avait été le théâtre des combats. Le reste avait été la cible des obus français. Un très grand nombre de maisons avaient été incendiées. La mairie, l’école des garçons et l’église étaient détruites: c’est pourquoi il n’y a pas de maisons anciennes à Garches. De nombreuses archives avaient disparues sauf les registres de l’état civil.

L’après guerre.

Avec courage, les Garchois se mettent au travail. Ceux dont la maison tient encore, bouchent les trous tant bien que mal, mettent des bâches. Les autres qui n’ont pu trouver refuge chez des parents ou amis, sont logés dans un bâtiment en bois construit sur la place. Tous repartent rapidement dans leurs champs et leurs vignes, recevant des aides des anglais (graines) et des versaillais (argent). A cette époque, il n’y avait pas les dommages de guerre, comme on les a connus après les deux guerres suivantes. Il n’y eut des dédommagements versés qu’à partir d’avril 1874 et limités à 40% des estimations, avec une  répartition très inégale. Mais les Garchois réparent ou reconstruisent rapidement leurs maisons. Certains étant aidés par le « Sou des Chaumières ».

Le fait majeur de cette période, est la reconstruction de l’église (une église provisoire, en bois, a été construite sur la place); elle déclenche de nombreux affrontements et polémiques entre le nouveau curé, l’abbé Gau, et le nouveau maire, monsieur Noret, et naturellement toutes les instances qui les entourent. La municipalité voulait construire une église plus grande sur la place, sur un terrain appartenant au curé précédent, afin d’être également plus à l’aise pour reconstruire les écoles. Le curé, le conseil de fabrique, l’évêché veulent conserver l’emplacement centenaire, là où la première église consacrée à Saint Louis avait été construite, mais son axe est, semble-t-il légèrement tourné par rapport à l’ancienne. Les deux parties finissent par s’entendre et la nouvelle église conserve son emplacement ancien, mais les polémiques continuent à propos de l’emploi des fonds et de la direction des travaux (le curé avait recueilli par ses démarches des sommes importantes, la mairie des subventions). Le supplément de traitement du curé versé par la Ville, est même supprimé sur un prétexte fallacieux.

Le renouveau de Garches.

Finalement, tout s’apaise et, malgré le dépassement des travaux, on décide de construire un clocher. Des dons affluent pour l’aménagement intérieur: chaire offerte par Mme Clausse, vitraux, par diverses confréries, sur lesquels certains donateurs sont représentés et même l’abbé Richard qui avait succédé comme curé à l’abbé Gau; la Maréchale de Mac-Mahon est même marraine d’une cloche! De nos jours une telle polémique, de telles difficultés entraîneraient un retard considérable dans la réalisation de l’ouvrage. Il n’en fut rien, car c’était une autre époque et la dédicace de la nouvelle église eut lieu à la fin de 1875. On décide aussitôt de construire le clocher.

On construit une nouvelle Mairie, à l’angle de la rue de Suresnes (ancienne) et de la Grande Rue, abritant également une classe d’école. On aménage la place en construisant un mur de soutènement et un escalier d’accès à la Grande Rue.

Ainsi, Garches change rapidement de visage. Le développement du trafic ferroviaire permet d’approvisionner Paris. La superficie cultivée tombant  à 2 ha en 1892 le travail de la vigne est vite abandonné. Les grandes propriétés sont peu à peu morcelées et loties, ainsi la maison du Docteur Civiale, un temps abandonnée, devient une institution pour jeunes filles: le Pensionnat de Marie-Auxiliatrice. Deux rues sont percées au travers du parc: elles prennent le nom des provinces perdues : Alsace et Lorraine. Grâce à un embranchement partant de la gare de Saint Cloud, le chemin de fer arrive en1884, à Garches où s’élèvent peu à peu des villas, dont certaines sont des résidences secondaires de parisiens. Une rue de la Station est percée en partie au travers du parc Civiale. Ainsi à quelques détails près,  Garches prend sa physionomie actuelle.

Presqu’à l’endroit d’où étaient partis les combattants du 19 janvier 1871, à Buzenval, une colonne est élevée, ornée d’un groupe sculpté par Louis Barries, elle est inaugurée le 10 août 1883. En revanche, celui élevé sensiblement à l’emplacement de la maison du Curé, par les gardes du 11ème bataillon, a été inauguré 2 ans après la bataille, le 19 janvier 1873. Au cimetière de Garches, un monument a été construit qui recouvre les ossements  des soldats français et allemands inhumés côte à côte. A Saint-Cloud, le monument commémore les combats de la Malmaison et de Montretout, ainsi que les autres sorties autour de Paris. Dans l’ancien parc de Buzenval (Golf de Saint-Cloud), s’élève un buste d’Henri Régnault, à l’endroit où il a été tué.

Voilà cette incroyable aventure et cette guerre terminée! La vie reprend son cours, peu à peu les blessures se cicatrisent, mais il fallu deux guerres mondiales autrement plus sanglantes et trois-quarts de siècle pour en effacer définitivement les conséquences. Mais Garches, le Garches que nous connaissons (à part la place Saint Louis), est ressuscité de ses cendres.

En savoir plus …

Coté livres :

Eté 1870 : La guerre racontée par les soldats

Auteur : Jean-François Lecaillon
Éditeur : Bernard Giovanangeli Editeur

ISBN-10: 2909034305

http://www.amazon.fr/Et%C3%A9-1870-guerre-racont%C3%A9e-soldats/dp/2909034305

Journal du siège de Paris

Auteur : Jacques-Henry Paradis
Éditeur : Tallandier

ISBN-10: 2847345191

http://www.amazon.fr/Journal-si%C3%A8ge-Paris-Jacques-Henry-Paradis/dp/2847345191/ref=sr_1_1?ie=UTF8&s=books&qid=1221404316&sr=1-1

Coté Web :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Buzenval

http://www.ville-garches.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=60&Itemid=90

http://fr.topic-topos.com/garches

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