Thèmes : Histoire, Société Conférence du Mardi 5 JUIN 2018.
MYTHES ET LÉGENDES URBAINES A PARIS
par Madame Hilda BIANCARDI, guide conférencière, diplômée de l’Ecole du Louvre.
INTRODUCTION
Les mythes sont particuliers, ils sont une explication de l’origine du monde. Plus personne ne croit en ces mythes. A Paris nous n’avons pas de mythes, d’ailleurs, il n’y a pas de mythologie française comme il y existe une mythologie grecque, égyptienne, incas, mayas, chinoise.
Les légendes, elles, partent de la réalité, elles amplifient les qualités et les actions de personne ayant existé. Les légendes peuvent être divisées en deux groupes : les légendes dorées, qui sont religieuses et parlent de la vie d’un saint ; ainsi une des premières légendes de Paris est celle de saint Denis. Et les légendes liées aux peurs et aux superstitions comme Le Masque de Fer ou Barbe. Beaucoup plus près de nous on trouve la légende du fantôme de l’Opéra ou celle de la maison de la villa Frochot qui serait hantée. On trouve aussi des légendes effrayantes sur des mangeurs de chair humaine.
I – Les légendes religieuses.
Saint Denis est la première légende de Paris. Denis est venu d’Italie peu avant l’an 250 de notre ère. Chargé par le pape, avec six compagnons, d’évangéliser le territoire des Gaules Denis fonde au cours de son apostolat plusieurs églises avant d’être martyrisé avec un prêtre, Rustique, et un diacre, Eleuthère, deux de ses compagnons, vers 250 à Montmartre (le mont des martyrs). Denis est mis à mort par le gouverneur romain Fescennius Sisinnius et il est décapité. Denis se serait relevé, aurait ramassé sa tête et aurait marché jusqu’à Catulliacus là où s’élève la basilique de Saint-Denis actuelle. Le gouverneur romain ne voulant pas qu’il y ait un pèlerinage sur la tombe de saint Denis, il envoie des soldats suivre le saint portant sa tête afin que lorsqu’il tombera à terre on puisse le ramasser et jeter son corps dans la Seine. Le saint a marché jusqu’à Montmartre où se trouvait la vigne de Bacchus, -Dyonisos en grec, d’où Denis. Une jeune fille catlla recueiilit le corps de saint Denis et le porta jusqu’à vicus cattuliacu (le lieu de catulla) c’est-à-dire au cimetière situé de nos jours sous la basilique Saint-Denis. Toujours lié à saint Denis on peut mentionner le fait que la fontaine de Montmartre où le saint se serait lavé la tête pour la rincer de son sang a été considérée miraculeuse durant plusieurs siècles. Cette eau apportait la fidélité aux femmes et soignait les maux de tête des hommes.
De très nombreuses cultures ont des histoires de dragons et Paris n’échappe pas à la règle. Saint Marcel, né à Paris, fut le neuvième évêque de Paris et il présida le Concile de Paris en 360. Il aurait aussi délivré la ville de son dragon qui tuait les filles de joie et saint Marcel aurait tué le dragon avec sa crosse. C’est ainsi qu’il apparaît sur les fresques. On retrouve ce type de légendes liées au dragon dévoreur de jeunes vierges ou de filles de joie dans de nombreuses villes à travers la France, à Tarascon notamment.
On peut évoquer une troisième légende, celle de sainte Geneviève. Geneviève est une jeune fille de l’aristocratie qui, étant fille unique, hérite du siège de son père au Conseil de Paris. Pourtant, la légende dit qu’elle était bergère et elle est très souvent représentée comme telle, ce qui est très commun pour les légendes féminines ; Jeanne d’Arc était semble-t-il aussi une bergère. Geneviève aurait sauvé Paris de l’invasion des Huns en faisant sortir toutes les reliques et en appelant tous les Parisiens à la prière. La réalité serait tout autre. Geneviève, de par sa position sociale aurait appris qu’Attila n’aurait eu nullement l’intention d’attaquer Paris mais d’aller en Aquitaine combattre les Wisigoths. Et donc Paris n’aurait pas eu à être sauvé !
Les légendes liées à la Vierge sont elles aussi nombreuses, notamment les vierges couronnées. Dans les années 1530 apparaît la légende de la Vierge noire, représentée par une statuette d’inspiration grecque. On attribuait de tels pouvoirs guérisseurs à cette petite statuette qu’elle fut utilisée pour guérir le roi Louis XIV gravement malade. Toute la France priait en neuvaines pour que Dieu sauve le roi et une chanson a été créée, qui deviendra l’hymne du Royaume-Uni « God save the King ». Cette Vierge est protectrice et fait des miracles, la religion catholique étant la seule religion à avoir un aspect surnaturel. Actuellement cette statuette de la Vierge noire est à l’église Notre Dame de la Paix de Picpus, près de la place de la Nation. A la fin du XIXe siècle, la Vierge apparaît à Catherine Labouré, rue du Bac. La Vierge lui parle et lui demande de faire réaliser une médaille. C’est ce qui sera fait et ce jusqu’à nos jours. Lorsqu’on demande à la jeune Catherine comment était la Vierge elle la décrit portant une couronne de douze étoiles. Le chiffre douze a une connotation particulière, c’est le nombre des tribus d’Israël, le nombre d’heures de la journée, des mois de l’année et le nombre d’apôtres qui étaient avec Jésus. Cette couronne de douze étoiles de la Vierge miraculeuse a inspiré le peintre strasbourgeois Arsène Heitz pour le drapeau du Conseil Européen en 1955 puis de l’Union Européenne à partir de 1986.
II – Les légendes urbaines non religieuses.
Si l’on trouve de nombreuses légendes d’ordre religieux, les légendes anti-religieuses voire blasphématoires sont aussi très populaires.
On peut évoquer celle où une femme en difficulté met ses vêtements en usure chez un Juif, à l’époque activité réservée aux Juifs. L’usurier lui dit que si elle veut récupérer ses vêtements, elle doit lui apporter une hostie consacrée. Quand le Juif obtient l’hostie, il prend un clou et le plante dans l’hostie, qui se met à saigner. L’usurier jette alors l’hostie dans une marmite d’eau bouillante qui devient une marmite pleine de sang. Cette hostie sera conservée sans se dégrader jusqu’à la seconde guerre mondiale, preuve du miracle. Quant-à l’usurier il a été tué selon une version et se serait converti selon une autre.
Toutes les civilisations ont peur de la mort et ce jusqu’à nos jours, c’est ce qui a engendré les légendes des maisons et lieux hantés.
Le petit homme rouge des Tuileries est un bel exemple d’un spectre qui hante un lieu. La légende commence lorsque Catherine de Médicis qui régna de 1547 à 1559, tient ses quartiers au Palais du Louvre et qu’elle souhaite construire une demeure royale sur le vaste terrain de bord de Seine qui prolonge le Palais. L’emplacement est occupé par une modeste folie abritant les amours coupables des monarques et de leurs courtisans. On trouve aussi des hangars où l’on fabrique des tuiles, d’où le nom des Tuileries, dont Jean -qui deviendra Jean l’écorcheur- était peut-être le propriétaire. Jean exerçait peut-être le métier de boucher. Priés de quitter les lieux, les occupants s’exécutent sauf Jean qui considère l’indemnité insuffisante. Catherine de Médicis aurait alors fait assassiner le boucher qui avant de mourir aurait hurlé à celui qui le tue « Soyez maudits, toi et tes maîtres ! Je reviendrai ! ». A partir de ce jour, le spectre apparaît à diverses occasions et dans le salon de la reine sous la forme d’un bonhomme rouge. Il réapparaît en 1610 au cours du couronnement de Marie de Médicis, et le lendemain Ravaillac tue Henri IV. Il apparaît épisodiquement sous le règne de Louis XIV, et à la Conciergerie avant l’exécution de Marie-Antoinette. Le spectre revient sous la République et sous l’Empire, mieux intentionné à l’égard de Napoléon qu’il ne fut à l’égard des rois. Il aurait suivi Bonaparte en Egypte lui prédisant sa victoire à la veille de la bataille des Pyramides. C’est aussi le petit homme rouge qui lui aurait conseillé son coup d’Etat du 18 brumaire. Certains iront jusqu’à dire que l’empereur était le fils du bonhomme rouge. Les Tuileries brûlent en 1871 et le spectre disparaît. A tout jamais ?
Au XIXe siècle on note l’apparition d’un nouveau fantôme mystérieux au jardin du Luxembourg. Un jeune homme qui aimait écouter la musique à un des kiosques du parc est un jour abordé par un vieil homme qui lui propose de venir à un concert chez lui le soir même. Le jeune s’y rend et assiste à un fabuleux concert, cependant, ayant oublié son briquet, il revient sur ses pas. Il a beau frapper à la porte, personne ne lui ouvre, alors un voisin lui explique que personne n’habite plus dans cet appartement depuis cinquante ans. Mais, le jeune homme insiste et on ouvre la porte. Tout est recouvert de draps, cependant, sur une table se trouve le briquet du jeune homme.
Autre célèbre fantôme, le fantôme de l’Opéra qui est un roman de Gaston Leroux, publié en 1910. Le livre reprend une série d’incidents qui ont fait la légende. Les incidents s’enchaînent, ainsi en 1893 pendant une représentation de « Faust » le contre-poids de l’énorme lustre tombe et tue une spectatrice assise au siège numéro 13, un machiniste est retrouvé pendu et finalement une danseuse chute d’une galerie et tombe sur la treizième marche ! Il n’en faut pas plus pour que se crée la légende. Cette légende est née dans les années 1870 lorsqu’un jeune pianiste, Ernest, tombe éperdument amoureux d’une danseuse. Ils prévoient de se marier et Ernest travaille à la composition d’une musique pour le jour de son mariage. Mais, l’Opéra prend feu le 28 octobre 1873, faisant de nombreuses victimes dont la fiancée d’Ernest et lui-même sera défiguré. Il se réfugiera alors dans les sous-sols et mourra seul. On ne retrouvera jamais son corps, d’où le fantôme. Une autre version affirme que le pianiste vivrait dans un lac souterrain sous l’Opéra, se nourrissant de poissons, même s’il est réel qu’existe sous l’édifice un réservoir d’eau, utilisé aujourd’hui par les pompiers de Paris. De nos jours on entretient la légende en maintenant un écriteau sur la loge n°5 qui signale « Loge du fantôme de l’Opéra » et qui n’est donc jamais louée. En réalité, la loge étant mal située et son orientation ne permettant pas de voir correctement le spectacle, la loge n’est pas à louer.
La villa Frochot est une impasse parisienne à proximité de la place de Clichy avec une histoire particulière. La demeure située au n°1 serait hantée. C’est l’ancienne demeure du directeur des Folies Bergères. Sa servante y a été sauvagement assassinée et on ne trouvera jamais son meurtrier. Plus tard, la maison est vendue par deux sœurs qui sont mortes de la même façon, peut-être de la maladie de Charcot. Ensuite, le compositeur Victor Massé et le critique de théâtre Mathieu Galey y seraient morts tous deux d’une sclérose en plaques. Finalement un mécène, Patrick de Brou de Laurière, acquiert la demeure et fait exorciser la maison par un prêtre ; depuis rien ne s’est passé. Cependant, le fait que la chanteuse Sylvie Vartan ait acheté la maison pour la quitter quelques jours plus tard sans explication entretient la légende. Par ailleurs, les voisins affirment que la maison bouge et que l’on peut encore entendre les cris de la servante tuée.
Une autre légende est en lien avec une des rues les plus étroites de Paris, la rue du Chat-qui-Pêche, dans le Ve arrondissement, qui ne mesure que 1,80 mètre de large. Dans cette rue un peu effrayante vivait au XVe siècle un alchimiste, Don Perlet avec son chat noir. On disait que comme il n’avait pas le temps de manger c’est lui qui se transformait en chat et allait pêcher dans la Seine pour se nourrir. La rue se situant dans le quartier Latin, les étudiants tuent le chat pensant se débarrasser de l’alchimiste qu’ils assimilent au diable, mais quelques jours plus tard, le chat réapparaît.
Certaines légendes sont reprises de nos jours comme c’est le cas de celle de Nicolas Flamel, reprise dans la saga des Harry Potter. Nicolas Flamel est un bourgeois parisien du XIVe siècle, écrivain, copiste et libraire. Grace à sa carrière mais surtout par un mariage avec une riche veuve, ses spéculations immobilières ainsi que la pratique de l’usure après l’expulsion des Juifs, lui assurent une fortune considérable. Cette fortune est à l’origine de sa légende qui fit de lui un alchimiste ayant réussi dans la quête de la pierre philosophale permettant de transmuter les métaux en or. A cause de cette réputation plusieurs traités d’alchimie lui furent attribués.
Madame Rufina Noeggerath dite Bonne Maman apporte le spiritisme à Paris. Elle publie plusieurs ouvrages au début du XXe siècle. Selon la légende, on peut aller sur sa tombe au Père Lachaise pour guérir des problèmes de vue. Certaines personnes guéries viennent déposer leurs lunettes sur sa tombe.
Enfin, on peut évoquer deux légendes liées au cannibalisme. La peur de manger de la chair humaine a toujours été présente. Dans le Paris du XIIIe siècle, un jour un chien se met à hurler devant la porte d’un barbier, et aboie jour après jour. On se rend compte que son maître était rentré chez le barbier mais n’en n’était pas ressorti. Par ailleurs, le voisin du barbier était un charcutier dont les pâtés étaient succulents et fort réputés. Finalement on se rendit compte que l’échoppe du barbier et celle du charcutier avaient une cave commune. Le barbier faisait donc descendre les futures victimes où elles étaient tuées puis transformées en pâtés. Au XIVe siècle on retrouve la même légende dans le quartier des Halles mais avec des conséquences encore plus graves. En effet, le roi Charles VI aurait consommé de ces pâtés ce qui l’aurait rendu fou. Le sacrilège est d’autant plus fort qu’à cette époque le roi tient son pouvoir directement de Dieu et avait ainsi le pouvoir de guérison.
Les sous-sols ont toujours inspiré des légendes comme les stations de métro dites fantômes qui en réalité sont des stations désaffectées car trop proches d’autres stations. Certaines stations sont totalement abandonnées et délabrées mais pas toutes. Ainsi, l’une d’elle a été décorée par un artiste et rebaptisée « La Plage », elle sert d’abri certaines nuits d’hiver aux SDF car elle est ouverte pas l’Armée du Salut.
CONCLUSION
De tout temps et dans toutes les civilisations, les légendes ont existé. Partant d’un fait ou d’une personne réelle, les modifications et les embellissements successifs en font une légende qui parfois est entretenue sur plusieurs décennies, voire plusieurs siècles. Au début de notre ère les légendes sont surtout reliées au monde religieux. De nos jours les légendes urbaines de Paris ont un attrait touristique non négligeable.